Je ne suis pas de ceux qui disent : "Ce n'est rien : C'est une femme qui se noie."




Gustave Doré, La femme noyée
On trouve l’expression dans « La Femme noyée (III, 16) où La Fontaine brode astucieusement sur un scénario misogyne bien éprouvé : Les femmes ont tellement l’esprit de contrariété que même noyées dans la rivière, elles préfèrent encore remonter le courant plutôt que de le suivre. 
L’expression initiale ne laisse pourtant pas de l’étonner. « Expression proverbiale », précise la note de notre édition, sans plus d’explication. Un proverbe, soit. Mais qui veut dire quoi ? La note de l’édition Pléiade renvoie les curieux à l’ouvrage de Gérard Bontemps, La Galerie des curieux, contenant les plus excellents railleurs de ce temps-ci[1](1646) où l’on découvre que le proverbe n’est pas du tout antiphrastique, comme Marcel, ce naïf, l’eût cru. Espérons, pour l'amour de l'espèce humaine, qu'il est rapidement devenu ironique... Marcel ne résiste pas au plaisir de reproduire l'histoire de la pauvre femme noyée, dont le sort est à tous indifférent.


[1]On accède au texte numérisé à partir du site Gallica




LE MARI DISSIMULÉ
Le gentilhomme que je vous représente icy, avoit pour femme, une jeune et belle damoiselle, qui estoit si lubrique, qu'elle prenait de tous costez ; mais comme ce péché se découvre à la fin, il en apprit quelque chose d’un sien frère, et plus qu’il n’en désiroit sçavoir. Ce frère lui remontra qu’il s’en falloit defaire, puisqu’elle les deshonoroit. Ils consultent donc ensemble, et advisent le moyen de ce faire sans reprehension. Ils ne trouvent autre invention que de la mener en quelque lieu loin de là, sous prétexte de visister leurs parens, et que passans par une rivière qui estoit au milieu de leur chemin, on la laisseroit là pour boire son saoul, et pour esteindre ses flammes impudiques.. Aussitost dit, aussitost fait; ils lui ont fait entendre qu'il était nécessaire d'aller voir leurs parens ; elle s'y accorde. Le frère la mène en trousse, et comme il est au milieu de la rivière, il ne manque pas de donner sept ou huit bons coups d'esperon à son cheval, et au même instant de lâcher sa ceinture, à laquelle sa belle-sœur s'asseuroit de la main; le cheval saute, et s'eslançant, jette madamoiselle dans l'eau, où le beau-frère la laissa attendant le jour du jugement. Monsieur le mary qui avoit passé tout le premier, et qui était sur le bord de la rivière, faisoit semblant de s’arracher les cheveux et la barbe, cirant à haute voix : Je suis perdu, je perds ma femme, je ne suis plus à moy, il faut que je me perde avec elle. On le retint sur ce qu’il feignoit de se jeter dans l’eau ; le beau-frère crioit de son costé : Au secours, au secours ! mais apprenans ce que c’estoit, il n’en firent pas grand estat ; je croy de de là est venu le proverbe : ce n’est rien, ce n’est qu’une femme qui se noye. (p. 171-172)




[1]On accède au texte numérisé à partir du site Gallica

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