Les contes à régler de Jacques Sternberg

Roland Topor, Sans titre, (1986)
    
         C'est encore les vacances, donc on explore un peu les marges : 
     Jacques Sternberg (1923-2006), de nationalité belge, fut sûrement un des nouvellistes les plus prolifiques du XXème siècle (au moins 1500 récits brefs à son actif).  Dans les 188 contes à régler (folio, 1988), il revient au genre de l'anticipation, ses premières amours. 
         Le livre, illustré par Roland Topor, est un concentré d'humour désabusé. Dressant le portrait burlesque d'une humanité qui court à sa perte, les récits sont d'une si saisissante brièveté qu'ils relèvent parfois du genre de l'histoire drôle (genre qu'affectionne Marcel comme les fidèles de ce blog le savent déjà trop bien). Ils ont justement l'avantage d'en montrer les liens structurels, et surtout, leur densité et la leçon morale qu'ils suggèrent souvent permettent d'établir une parenté entre texte bref, histoire drôle et écriture gnomique... 




LA DISSENSION

Leurs légendaires malentendus et leurs ressentiments n'avaient fait que s'amplifier, mais la panique gagna vraiment le monde des hommes quand ils apprirent que les femmes avaient la bombe atomique.
(p. 122)


LES ENCHÈRES
 En 2088, au cours d'une importante vente aux enchères, un réfrigérateur Bosh 1985, dit rarissime, fut adjugé à une multinationale belge pour la somme de 7 millions de dollars.
Inutile d'en douter, on avait dû le prendre pour une œuvre du génial Jérôme Bosh. `
(p.141)

LA FAUTE
Au commencement, il y eut cette assourdissante déflagration dans les ténèbres de l'espace qu'on appela le Big bang.
Dieu, dans un éclaire prémonitoire d'aveuglante lucidité, avait compris qu'en déclenchant la vie, cette aventure cosmique aboutirait inéluctablement un jour à la naissance d'un humain, et, terrifié par l'absurdité de son acte, il s'était fait exploser.
(p. 157)
Roland Topor, À gorge déployée, (1975)

L'INCAPACITÉ
Alors, avec le temps, à une certaine époque, on ne se paya plus de mots, on avoua la débilité profonde qui s'était implacablement emparée du monde, en larguant tout complexe à l'égard de l'incapacité. Et, corollaire fatal, on trouva à tous les niveaux du travail, des offres d'emploi d'un nouveau type : le recrutement d'inaptes à tout faire pour le compte d'inaptes à faire quoi que ce soit.
(p. 181)

LE PASSAGE
Comme on aurait pu s'y attendre, un jour, l'homme préhistorique aperçut par hasard son reflet dans l'eau lisse d'un étang. Il se trouva beau et en conçut un indiscutable sentiment de vanité qui lui donna de l'assurance, de l'égocentrisme, de quoi réveiller toute l'agressivité enfouie en lui.
L'histoire de l'humanité venait secrètement de commencer.
(p.229)

Jacques Sternberg, 188 contes à régler, Folio 1998
(première édition chez Denoël : 1988)



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