Que pensez-vous de Maupassant ?

Maupassant par Ghertman
pour la revue "Lire" (1993)
La mère porteuse de Marcel (MP) a eu la bonne idée de faire un petit florilège des jugements de goût (forcément déplorables) portés par ses pairs sur l'oeuvre de Maupassant. Marcel le reproduit ici, avec son aimable autorisation. C'est généralement méchant, et cela montre le caractère infiniment variable des critères fixant la valeur littéraire. Ici, on juge l'oeuvre dépassée, vulgaire, sans style... Même ceux qui ont aimé l'auteur ont l'air de s'en repentir et se hâtent de dire qu'ils ne le lisent plus, avec une condescendance toute aristocratique. Tiens ! cela mériterait de figurer dans le dictionnaire des idées reçues : Maupassant = l'avoir dévoré étant jeune (à la rigueur); mais n'en garder aucun souvenir. 
La plupart de ces jugements qu'on peut lire sur le site très complet Maupassantiana proviennent d'une enquête (menée entre 1938 et 1950) parue dans "Les nouvelles littéraires" répondant à la question : "Que pensez-vous de Maupassant ?



Zola (aux obsèques de Maupassant, 7 juillet 1893)

Il adorait les exercices violents ; des légendes de prouesses surprenantes couraient déjà sur lui. L’idée ne nous venait pas qu’il pût avoir du talent. Et puis éclata Boule-de-suif, ce chef d’œuvre, cette œuvre parfaite de tendresse, d’ironie et de vaillance […]
Qui sait si l’immortalité n’est pas plutôt une nouvelle en trois cents lignes, la fable ou le conte que les écoliers des siècles futurs se transmettront, comme l’exemple inattaquable de la perfection classique ?
Et, messieurs, ce serait là la gloire de Maupassant, que ce serait encore la plus certaine et la plus solide des gloires. »
    « Ah! la clarté, quelle fontaine de grâce où je voudrais voir toutes les générations se désaltérer! J’ai beaucoup aimé Maupassant parce qu’il était vraiment, celui-là, de notre sang latin, et qu’il appartenait à la famille des grandes honnêtetés littéraires. Certes, il ne faut point borner l’art : il faut accepter les compliqués, les raffinés et les obscurs ; mais il me semble que ceux-ci ne sont que la débauche ou, s’il on veut, que le régal d’un moment, et qu’il faut bien en revenir toujours aux simples et aux clairs, comme on revient au pain quotidien qui nourrit sans lasser jamais. La santé est là, dans ce bain de soleil, dans cette onde qui nous enveloppe de toutes parts. Peut-être la page de Maupassant que nous admirons, lui a-t-elle coûté un effort. Qu’importe, si cette fatigue n’apparaît pas, si nous sommes réconfortés par le naturel parfait, la tranquille vigueur qui en déborde ! On sort de cette page comme ragaillardi soi-même, avec l’allégresse morale et physique que donne une promenade sous la pleine lumière du jour. »

Paul Valéry :

   Je ne suis ni romancier ni critique ; j'ai assez peu lu Maupassant, et ce peu, il y a bien longtemps, hélas ! que je l'ai lu. Je dois vous avouer que je ne suis pas grand lecteur et que je n'ai le temps - ni, peut-être, le goût - de lire des romans. Sans doute, ai-je, à un degré fâcheux, le sentiment de l'arbitraire… 

     Voilà bien des négations, dont je m'excuse… 

Julien Gracq :

   Je l'ai peu lu et ne suis guère attiré par lui. S'il est vrai, comme on l'assure, que beaucoup d'Américains ont appris à écrire dans ses nouvelles, pour ma part, j'avais lu celles de Poë avant les siennes : il n'était plus question de m'y intéresser beaucoup. L'art de ses nouvelles m'a toujours semblé un art de table d'hôte ; où l'effetne manque jamais : gros, visible, réussi. Je l'ai référé, je crois, définitivement, après avoir lu Sur l'eau, où la ressource de cet art tout extérieur lui manque, et où il est réduit à son propre suc : pauvreté, médiocrité, inintérêt. Sa vogue à l'étranger me paraît d'ailleurs en tout point justifiée ; nul auteur plus propre à faire accéder de plain-pied à une sorte de basic French littéraire, où manquent tous les éléments subtils. [1954]

André Gide :     

Il me paraît que l'Angleterre et l'Allemagne (que la Russie même) ont porté sur l'œuvre de Maupassant un jugement plus favorable que n'a fait la France. C'est aussi que Maupassant n'a eu, en France, qu'une assez médiocre lignée de nouvellistes et de conteurs ; tandis que son influence indéniable a été des meilleures sur certains éminents auteurs étrangers. Ces auteurs étaient riches d'un fonds généreux et manquaient peut-être un peu de ce que Maupassant avait à l'excès et pouvait leur apprendre : le métier. Nombre des courts récits de Maupassant sont d'un métier admirable, d'une extraordinaire habileté de présentation et d'une langue très rare. On pourrait les prendre comme modèles. Il est quelques-uns de ces récits qui sont même beaucoup plus et mieux que de simples réussites formelles, en particulier Boule de suifest, dans son genre, un chef d'œuvre.
Ce qui nous retient de considérer Maupassant comme un vrai maître, c'est, je crois, l'inintérêt presque total de sa propre personnalité. N'ayant rien de particulier à dire, ne se sentant chargé d'aucun message, voyant le monde et nous le présentant un peu en noir, mais sans indice de réfraction originale, il reste pour nous (ce qu'il prétendait être) un remarquable et impeccable ouvrier des lettres. Il est à chacun de ses lecteurs la même chose et ne parle à aucun d'eux en secret.

Paul Claudel :

Je ne prends aucune espèce d'intérêt à Guy de Maupassant. (1950)

Louis-Ferdinand Céline :

    Les lettres américaines sont en retard d'environ 50 ans sur les lettres européennes, qui ont fait, depuis un demi-siècle, leur maladie naturaliste. Maupassant n'offre plus pour nous, actuellement, aucun intérêt. Tout a été dit, rabâché - en thèses, en des cours, en controverses - sur le sémillant nouvelliste. Je crois, évidemment, que les romanciers américains, sont encore à la traîne de Maupassant. Cela leur passera.
    Maupassant a été l'inspirateur de l'article « enlevé », « sensible », « pimpant », dont tous les journalistes actuels, du monde entier, usent et abusent.
    Quant au fond même, il est nul, comme tout ce qui est systématiquement « objectif ». Tout doit nous éloigner de Maupassant. La route qu'il suivait, comme tous les naturalistes, mène à la mécanique, aux usines Ford, au cinéma - Fausse Route ! » (1938)

Albert Camus :

    J'ai peu pratiqué Maupassant. J'ai lu tout ce qu'il a écrit. Je ne l'ai, je crois, jamais relu. Je n'en aime, en fait, que les derniers contes. Pour le reste, son esthétique m'est étrangère. Je ne suis touché, en général, ni par les œuvres qui s'éloignent tout à fait de la réalité, ni par celles qui, comme l'œuvre de Maupassant, s'y tiennent tout près. Le grand art, pour moi, est à mi-chemin. C'est pourquoi Maupassant reste, pour beaucoup d'entre nous, un artiste honnête et estimable qui a exprimé assez exactement une époque et une société d'ailleurs pauvres en grandes œuvres. Mais il n'est pas un grand créateur, comme Balzac, par exemple, l'était. » [1954] 

Knut Hamsun : 

    A mon âge - et pour autant qu'il s'agit d'une langue étrangère - je ne puis vous exprimer dans le détail mon opinion sur Maupassant. Il n'est pas de mes préférés. Il était un épigone et n'écrivait ni mieux ni moins bien que la plupart des écrivains français de son temps.

Léon Daudet : 

    Maupassant, que j'ai rencontré souvent chez mon père, dans ma jeunesse, n'a pas une grande place dans les lettres françaises, qu'il ignorait. C'est un bon disciple de Flaubert, qui a écrit deux belles choses : Sur l'eau, bréviaire du pessimisme - son eau étant noire - et La Petite Roque. Son manque de culture est flagrant. Son talent médiocre, énervé par la paralysie générale, jette parfois des étincelles. Il était comme Loti, comblé de ridicules, avec des dons de phrase courte et frottée incontestables.
Je ne pense guère à lui, et mon cas est celui de presque tous mes contemporains cultivés. Quant à le relire, merci bien ! [1938]

Source principale : http://www.maupassantiana.fr/Documents/Reception/PouroucontreMaupassant.html





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