Henri Michaux à propos de Zao Wou-Ki

Zao Wou-Ki, "Bonne année", 1953
Les livres sont ennuyeux à lire. Pas de libre circulation. On est invité à suivre. Le chemin est tracé, unique.
Tout différent le tableau : immédiat, total. A gauche, aussi, à droite, en profondeur, à volonté.
Pas de trajet, mille trajets, et les pauses ne sont pas indiquées. Dès qu'on le désire, le tableau à nouveau, en entier. Dans un instant, tout est là.
Tout, mais rien n'est connu encore. C'est ici qu'il faut vraiment commencer à lire.
Lectures par Henri Michaux de huit lithographies de Zao Wou-Ki, Euros et R. Godet, 1950  



      Dans les lectures de huit lithographies de Zao Wou-Ki paru parues en 1950, Henri Michaux se livre à une délicate ekphrasis de quelques oeuvres de ce peintre aérien. Avec Zao Wou-Ki, il a rencontré son idéal pictural : Zao Wou-Ki sait "montrer en dissimulant, briser et faire trembler la ligne directe, tracer, en musant, les détours de la promenade et les pattes de mouche de l'esprit rêveur" ; il est le peintre de "l'absence de poids, "le sans matière qui ressuscite la matière, la matière en mouvement"...  Tout cela  fascine et enchante le poète. D'ailleurs, son écriture se met ici vraiment au service de l'image : l'inquiétude cède la place à la mélancolie, la sérénité de l'un se  diffuse dans l'autre ; tombent les majuscules et les phrases se font petites. Ils sont restés amis toute leur vie ; ce fut une conversation ininterrompue, comme on dit que l'est la pensée...



Lentement de l'autre côté
Lentement voguent les poissons
croiseurs de la méditation de la faim
Ceux de l'obstacle de l'air regardent
étrangers
Ceux de l'obstacle de l'eau






que de lait entoure l'astre mort 

que de blancheur épandue dans le ciel !
en bas la rencontre a eu lieu
les bras faits pour se prendre se sont pris
aujourd'hui
sans limite aujourd'hui éternel
s'accomplit
s'allongeant jusqu'au bout du monde
plus 
de distance







squelette fibrillaire de arbres

on dirait qu'ils saignent
une charrette [...]
comme une caisse 
comme un cercueil
est traînée par un cheval maigre
tirant
tirant
allongé dans l'en avant jusqu'à y   choir
presque





Un cercle de neige tient dans sa fermeture inexorable
les trois arbres
la maison 
la campagne
les deux amants
il n'est dépassé que par un autre cercle
l'entourant entièrement 
de sang
paprika de demain.  








Sur l'évolution de la peinture de Zao Wou-Ki vers l'abstraction, voici encore ce qu'écrit Michaux dans une préface à un livre de Claude Roy consacré au peintre en 1970. C'est une expérience d'altérité, comme seul l'art en permet...


    Zao Wou-Ki lui aussi, a quitté le concret. Mais ses tableaux on avec la nature gardé un air de famille.
    Elle est là. Elle n'est pas là. Ce ne peut être elle, ce qu'on voit. Ce doit être elle pourtant.
    Toute différente, elle ne se détaille plus.
    Nature saisie dans la masse.
    Naturelle toujours, plus chaleureuse, plus emportée. Tellurique.
    Restée souple.
    Pas singulière, pas dépaysante, fluide en couleurs chaudes sont plutôt des lumières, des ruissellements de lumières.
    Vide d'arbres, de rivières, sans forêts, ni collines, mais pleine de trombes, de tressaillements, de
jaillissements, d'élans, de coulées, de vaporeux magmas colorés qui se dilatent, s'enlèvent, fusent.
    Appelées par des problèmes nouveaux, par des drames, par des envahissements.
    C'est par la nature que Zao-Wou-Ki se meut, se montre, qu'il est abattu, qu'il se ranime, qu'il tombe qu'il se relève, qu'il est enthousiaste, qu'il est tout "pour" ou bien tout "contre", qu'il est bouillonnant..., qu'il dit qu'il étouffe.
    C'est par elle que, sans obstruction, il peut parler, qu'il peut faire des gestes vraiment amples, pas seulement colorés de la pénible exaspération humaine.
    Par la nature, en alliance avec elle, il est possible de vivre plus intensément, ce qu'on vivait seul. On peut, toutes souffrances dépassées, toute aspiration libérée, le revivre, avec munificence, une prodigieuse munificence ... sans ridicule.
    La nature, on prend son étendue, sa profondeur à elle. On va pouvoir vivre à une autre échelle.
[...]
    Les toiles de Zao Wou-Ki - on le sait - ont une vertu : elles sont bénéfiques.
Préface d'Henri Michaux au livre de Claude Roy, Zao Wou-Ki, Le Musée de poche, Paris, 1970



l'ouvrage est épuisé
mais on le trouve encore d'occasion

Les textes choisis sont extraits de l'anthologie
proposée par Y. Bonnefoy et G. de Cortanze
dans le beau livre qu'ils ont consacré
à Zao Wou-ki









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