Georges Bataille : la littérature et le mal



"Il n'est pas de morale possible à vouloir ignorer les vertus du mal" Georges Bataille, 1949

Impossible d'aborder le thème Littérature et morale sans parler de Georges Bataille (1897-1962). Auteur d'une oeuvre ample et multiple, il est pourtant resté largement méconnu, et même maudit, sans doute parce que son oeuvre est fondamentalement transgressive, lui qui avait  décidé de « tout dire », c'est-à-dire d'entrevoir ce point extrême où la vérité est insupportable. Obsédé par Dieu, le sexe et la mort, il est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages d'un érotisme dérangeant - Histoire de l'oeil (1928), Ma mère (1966) pour les plus célèbres - mais son oeuvre la plus importante est philosophique. La littérature et le mal est un essai dans lequel Bataille entend démontrer, à partir de l'analyse de quelques auteurs-clés (Emily Bronté, Baudelaire, Proust, Sade, Kafka etc.) le caractère indissoluble du couple formé par la littérature et le mal. Marcel numérise un extrait de l'avant-propos. Il recommande aussi de regarder une courte archive où on entend l'auteur développer sa thèse devant Pierre Dumayet en 1958. C'est une des rares (sinon la seule) apparitions de Georges Bataille à la télévision.



AVANT-PROPOS


   La génération à laquelle j'appartiens est tumultueuse.

   Elle naquit à la vie littéraire dans les tumultes du surréalisme. Il y eut, dans les années qui suivirent la première guerre , un sentiment qui débordait. La littérature étouffait dans ses limites. Elle portait, semble-t-il, en elle une révolution.
   Ces études dont la cohérence s'impose à moi, un homme d'âge mûr les composa.
   Mais leur sens profond se rapporte au tumulte de sa jeunesse, dont elles sont l'écho assourdi. [...]
   Je dois noter pourtant que si parfois j'ai dû les réécrire, c'est que, dans les tumultes persistants de mon esprit, je n'ai pu donner tout d'abord à mes idées qu'une expression obscure. Le tumulte est fondamental, c'est le sens de ce livre. Mais il est temps de parvenir à la clarté de la conscience.
   Il est temps… Parfois même il semblerait que le temps manque. Du moins le temps presse.
   Ces études répondent à l'effort que j'ai poursuivi pour dégager le sens de la littérature…. La littérature est l'essentiel, ou n'est rien. Le mal – une forme aiguë du mal – dont elle est l’expression a pour nous, je le crois, la valeur souveraine. Mais cette conception ne commande pas l'absence de morale, elle exige une « hypermorale ». […]
   La littérature n'est pas innocente, et, coupable, elle devait à la fin s’avouer telle. L’action seule a les droits. La littérature, je l’ai, lentement, voulu montrer, c’est l’enfance enfin retrouvée. Mais l’enfance qui gouvernerait aurait-elle une vérité ? Devant la nécessité de l’action, s’impose l’honnêteté de Kafka, qui ne s’accordait aucun droit. Quel que soit qui découle des livres de Genet, le plaidoyer de Sartre pour lui n'est pas recevable. A la fin la littérature se devait de plaider coupable.
Georges Bataille, La littérature et le mal, folio, 1957, pp. 9-10







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