Pierre Mrdjenovic : Que blanc devienne blanche

Arpad Szenes, "North beach, 1982

Après coup, on ne se souviendra que de la musique, comme si c'était la musique qui avait bâti le monde.
(Pierre Mrdjenovic, "Les tremblements d'une voyelle qui hésite") 

    Il y a quelques mois (déjà) paraissait le recueil de poèmes de Pierre Mjdjenovic, Que blanc devienne blanche (Jacques André éditeur, 2021). En le parcourant, Marcel se souvient avec émotion de la frêle silhouette de celui qui fut autrefois son élève, de son sourire léger, presque flottant, de son impeccable courtoisie.  
    En prose ou en vers libres, osant parfois le vers compté, les textes s'aventurent en pleine nature, au gré des éléments. On n'a pas peur ici de regarder en arrière. L'enfance, les mythes, les maîtres du passé : il y a beaucoup de monde dans la maison de Pierre, qui cultive pourtant la parole rare et le silence. 
C'est aussi une poésie qui fait corps : corps de femme ou de jeune fille alanguie, lentement approchée, bercée de mots chuchotés, nourrie de l'espoir à peine formé que le monde entier enfin s'effémine, que blanc devienne blanche. C'est donc un beau recueil, sensuel et réfléchi, qui célèbre les fiançailles de la pensée et de l'émotion. Que Pierre continue à tracer ce beau chemin, c'est tout le bonheur qu'on ose lui souhaiter.


Arpad Szenes, 1980
...
Elle avait les mains d'une fée
Et les doigts de la salamandre
Toujours prête à se réchauffer
Toujours froids comme on peut comprendre

Le regard ici défié
La mine qui veut s'en défendre
Et le moine qui s'y fiait
Et l'amoureux qui s'en fit pendre
...
("Les aventures de pierre d'ambre", p. 37)


 

...
Suspendre mon toucher, le sentir glisser à la surface des choses, le sentir glisser dans la perspective de s'appuyer davantage, de ne jamais l'oser. Mais il y a autre chose. Je ferme les yeux et il n'y a plus d'horizon autre que mes mains qui tâtonnent. Je ne veux pas le souvenir du loin, je le veux senti par ma main, à portée de ma main.
L'horizon d'une main, c'en est une autre qui ne l'aurait
jamais touchée, et qui, pourtant, la saurait frémissante.
("L'Horizon d'une main, p. 41)

Ton corps a encore la chaleur d'un été que je n'ai pas connu.
Il garde la lumière, comme les vieilles pierres gardent le
soleil, longtemps, dans la pénombre.
...
("Le corps déchiré", p. 53)

Arpad Szenes, 1981

Juillet s'est évanoui comme une femme délicate
Qui laisse son parfum longtemps après la chute
On a beau refaire les gestes sa robe de ouate
Est étrangère à notre lutte
("Juillet s'est évanoui", p. 55)

    Poète est celui qui exacerbe sa position face au monde, y compris si sa position n'est pas celle de l'affirmation, mais de la soumission aux choses, de leur entier glissement. S'il est toujours trop tôt pour la dire, pour la clarifier, cette position s'écrit. Car l'écrit est la revendication de cette force. Et de la même manière que le verbe poétique remédie au langage qui cherche ses mots à tâtons, cette position invisible, insoutenable est la boisson substantielle pour ce que le poète ne sait pas encore dire. Fleuve de sens où se noie la parole.
("La langue morte", p. 59)



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